(première publication: sur atlantico, 27 novembre 2012, http://www.atlantico.fr/decryptage/dette-publique-40-ans-deni-psychologique-et-continue-alain-renaudin-558285.html – un article qui malheureusement ne prend pas une ride ! sauf à considérer les lignes supplémentaires de dettes comme les rides d’un Etat qui vieillit et l’affaiblit)
Depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la dette publique de la France est passée de 20% à 100% du PIB (96,3% fin T1 2015, soit 2089 milliards d’euros).
En 2012, l’Europe se félicitait d’un accord sur la dette grecque, se fixant comme objectif 124% d’endettement ramené au PIB en 2020 (!). Trois ans après, durant l’été 2015, inutile de revenir sur l’abracadabrantesque feuilleton de cette crise chronique, qui est tant celle de l’Europe, de ses Etats que des dirigeants politiques. Signe des temps, l’Europe n’a d’ailleurs n’a pas le monopole de cette fuite en avant, la plupart des Etats “modernes” semblant désormais condamnés à gérer leurs finances tels des tonneaux des Danaïdes, cherchant désespérément et éternellement à les remplir de nouvelles dettes et de nouvelles taxes. De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis enchainent les rounds de négociations (de plus en plus durs) entre Démocrates et Républicains pour s’autoriser régulièrement de nouveaux plafonds d’endettement et sans cette relever ce qu’ils appellent la “fiscal cliff” (falaise budgétaire ou fiscale). Aujourd’hui, la limite “légale” des 18.300 milliards de dollars de dette publique américaine est encore une fois dépassée. Pour le “modèle” d’économie occidental, il est donc toujours utile que l’Etat s’endette encore davantage.
De notre côté nous sommes dans le même piège budgétaire. Notre dette publique à nous (même si personne n’a le sentiment qu’elle lui appartienne) atteindra donc les 100% du PIB en 2015, après 82,3% en 2010, 79,2% en 2009, l’année du grand saut avec 11 points de plus qu’un an plus tôt (68,2% en 2008). Il faut ensuite remonter à 2002 pour passer sous le seuil des 60% (58,8%), vous vous souvenez le seuil de Maastricht. L’accord n’aura finalement été que peu appliqué, mais prévoyait principalement (entre autres critères) de rester sous ce taux de 60% de dette publique ramenée au PIB et 3% de déficit public annuel. On estimait à l’époque cette équation tenable. C’était bien sur sans compter le ralentissement de la croissance et la profonde crise dans laquelle nous sommes englués.
Rétrospectivement cette crise a bon dos car la croissance, grâce à laquelle nous imaginions compenser – c’est à dire nous autoriser – ce déficit public chronique, connaissait un ralentissement depuis plusieurs décennies : 1,4% pour les années 2000 ; 1,9% pour les années 90 ; 2,3% pour les années 80 ; 4,1% dans les années 70 et 5,9% dans les années 60. Seulement voilà, le sursaut de la fin de la décennie 90 autour de 3% de croissance annuelle nous a fait rêver. Mais dès 2001, nous étions retombés à 1,8%, et 0,9% en 2002 et 2003, bien avant les subprimes et cette terrible année 2009 à -2,7% de croissance.
Dès lors, l’absence de croissance ne pouvait plus permettre de contenir l’essor de la dette publique que rien d’autre ne venait réduire : on écope moins vite que le bateau ne coule. La dette publique s’est donc envolée, passant de 60% à plus de 80% en une décennie. Mais le mal dépasse les alternances politiques, il est bien plus ancien que la période récente. Sur une autre décennie, de 1981 à 1991, la dette était passée de 21% à 36%, et, encore plus fort, avait bondi à 60% pendant la décennie suivante, qui s’autorise gentiment un déficit annuel moyen de 6% par an.
Ce qui frappe ces dernières années, c’est l’atteinte de taux en valeur absolue que nous estimions intenables il y a peu, et l’incapacité chronique des Etats à juguler l’hémorragie … tout en affirmant depuis longtemps que c’est un mal à combattre. L’exemple le plus récent et le plus frappant concerne bien sûr François Fillon qui déclarait le 24 septembre 2007 “je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier“, expliquant au passage que l’Etat était dans cette situation de déficit chronique depuis 15 ans. En réalité depuis plus longtemps encore, car la référence en matière d’interpellation de bonne gestion budgétaire, c’est bien sur Raymond Barre, qui, dès septembre 1976 (soit 30 ans avant François Fillon !), livrait une explication simple aux difficultés économiques : “La France vit au dessus de ses moyens. Les revenus augmentent plus vite que la production. Le crédit est distribué de manière trop abondante. Les dépenses de l’Etat excèdent ses recettes et le déficit du budget sera cette année (76) de 15 milliards de Francs, un progrès versus le déficit de l’an dernier (74) de 35 milliards de Francs” (en 2011, le déficit budgétaire s’élevait à 90 milliards d’euros). Candidat à la présidentielle de 1988, notre “meilleur économiste de France” remportait 16,54% des suffrages, en troisième position derrière Jacques Chirac (20%) et François Mitterrand (34%).
Depuis 40 ans, il existe une sorte d’hyperconscience politique et collective de la maladie budgétaire, assortie d’une observance molle et irrégulière du traitement thérapeutique. La maladie devient chronique, on s’habitue à vivre avec, et faute de solutions acceptables (c’est-à-dire confortables) on en banalise l’enjeu, comme le déni psychologique d’un mal qu’on ne veut pas traiter.
Depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la dette publique de la France est passée de 20% à 100% du PIB. Avec 50 milliards d’euros de remboursements par an, le coût de la dette est devenu le deuxième budget de l’Etat, derrière le budget de l’éducation nationale (65 milliards). Du côté américain ou de celui de l’Europe, aucune perspective ne permet d’imaginer un seul instant que les Etats soient capables de sortir de cet endettement chronique.
Plus profondément, cette période (tant mieux si elle devient “transition”, mais rien n’est moins sur) révèle les évolutions structurelles suivantes:
- Les dirigeants politiques semblent avoir atteint leur seuil de compétence, incapables d’imaginer de nouvelles solutions aux maux de nos sociétés modernes;
- L’incapacité démontrée de l’augmentation de la dette publique à juguler le chômage et à encourager la croissance (cf graphique ci-dessous)
- Une remise en cause de l’utilité de la dépense publique (la question est davantage celle de l’utilité de l’euro public prélevé que celle du taux de prélèvement absolu).
- Une déresponsabilisation des politiques comme des peuples, considérant sur le fond ces dettes d’Etat comme quasiment “virtuelles”.
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