Pourquoi le biomimétisme accélère-t-il ?

Discipline en forte croissance et à haut potentiel, le biomimétisme est au cœur des travaux de recherche et des stratégies d’innovation d’un vaste et pluridisciplinaire écosystème de labos, centres de recherche, universités, grandes entreprises, startups, écoles et universités, à travers le monde, et notamment en France. Si le biomimétisme connait un réel essor en raison de ses atouts propres, c’est aussi parce que cette approche s’inscrit en résonance avec une série d’éléments conjoncturels convergents et porteurs, favorables et de long terme pour expliquer le développement de cette approche, aujourd’hui, et demain.

Dans son travail d’analyse de tendances et de prospective, NewCorp Conseil, spécialisée en stratégies de résilience bio-inspirées et à l’initiative de l’événement Biomim’expo, propose 12 facteurs conjoncturels, techniques et sociétaux, pour expliquer l’essor du Biomimétisme qui peut se proposer comme un nouveau paradigme.

La vie, c’est 3,8 milliards d’années de Recherche & Développement, d’adaptations et d’optimisations continues, avec un génie inouï et une efficacité époustouflante, qui bien souvent nous dépasse, nous impressionne, nous émerveille et parfois même nous émeut lorsqu’on veut bien prêter attention à cette encyclopédie du vivant qui nous entoure, encore. S’inspirer du vivant pour innover et re-créer un modèle de développement harmonieux et résilient fait du biomimétisme une approche à la confluence de la science, de l’écologie, de la philosophie. 

A travers le Biomimétisme, la nature (re)devient une source d’inspirations au service de la recherche et de l’innovation, dans tous les domaines. La nature n’est plus alors seulement considérée comme une contrainte ou un stock – épuisable – de matières, mais comme une source inépuisable de génie et de solutions au service de nos défis et enjeux contemporains. Si cette approche se développe aujourd’hui en raison d’éléments conjoncturels convergents, c’est une pratique déjà ancienne, mise en œuvre dès le XVième siècle par Léonard de Vinci qui dessina les premières maquettes de machines volantes en observant le vol des oiseaux. Il est d’ailleurs fort probable que de tous temps, avant peut-être une parenthèse de développement industriel et d’exode rural qui nous déconnecta « du sol », la nature a été une forte source d’inspirations pour l’homme, elle le redevient aujourd’hui, par nécessité sans doute, par envie aussi, surement. 



L’impulsion américaine

Si s’inspirer de la nature est sans doute vieux comme … le monde, le biomimétisme a bénéficié d’un baptême marketing et conceptuel aux Etats-Unis (comme souvent), grâce à la biologiste Janine Benyus

Les américains, souvent critiquables sur les enjeux environnementaux, sont aussi souvent leaders sur l’émergence de ces nouvelles tendances. Si Janine Benyus n’a pas « inventé » le biomimétisme, son ouvrage, « Biomimicry: Innovation Inspired by Nature » publié en 1997 (traduit en français en 2011) a sans nul doute été un déclencheur et un accélérateur. 

Même si Jacques Livage parlait déjà de « chimie douce » en 1977, soit 20 ans avant Benyus, c’est ce livre et son auteure qui sont devenus référents en la matière, qui ont démontré et illustré l’intérêt du biomimétisme au service du développement durable, fédéré ses acteurs, et fait des émules. 

Il est d’ailleurs intéressant de noter que Janine Benyus est à la fois une scientifique … et un entrepreneur à travers ses activités de conseil, ce qui a sans doute contribué à l’efficacité du travail de pédagogie et d’influence qui a été mené pour être aussi capable de le « traduire » économiquement.

Aujourd’hui, d’autre moteurs se sont allumés pour prendre le relai et intensifier la dynamique, notamment en France, pour fédérer le réseau, rassembler et valoriser la filière, faire la pédagogie du biomimétisme, susciter, encourager et développer des projets innovants …

L’urgence 

Ce qui explique le regain d’intérêt pour cette idée de Nature vitale et modèle, ce sont nos enjeux climatiques, énergétiques et de biodiversité tels que nous les rappellent régulièrement notamment le GIEC et l’IPBES.

Face aux impasses et aux angoisses, en proposant le vivant comme un modèle de développement soutenable, le biomimétisme se propose en modèle de sortie de crise, de sortie d’impasse, de renouveau.

La nature est résiliente, elle est économe en énergie et en matière, elle travaille en économie circulaire et locale, … 

En outre, la vertu de nos urgences est de nous faire redécouvrir notre communauté de destins en tant qu’espèce, qui se doit de préserver son biotope pour vivre, la nature est un modèle d’évidence pour cela, comme une leçon de vie pour l’homme.

Plus rationnellement, en proposant d’économiser les ressources, le biomimétisme se propose aussi en modèle économique qui intéresse de plus en plus les entreprises en quête d’efficience écologique et énergétique. C’est un facteur de compétitivité.

Ce qui est nouveau, ce n’est pas le biomimétisme, ce sont nos enjeux.

Réconciliation et RSE

L’émergence de la prise de conscience de la réconciliation possible entre développement économique et respect de l’environnement est une autre grande raison expliquant l’émergence du biomimétisme. 

Cesser d’opposer économie et écologie est une préalable indispensable pour sortir efficacement de la contrainte ou du dogme en révélant d’autres champs du possible. Le biomimétisme, en proposant un changement d’approche et de regard, réussit à concilier les enjeux.

L’économie bio-inspirée devient alors réconciliante, mode opératoire de l’économie durable.

Pour les stratégies RSE, la bio-inspiration est un facteur de réduction d’impacts, voire mieux, une approche régénérative à impact positif (énergie, biodiversité, ressources …).

La connaissance scientifique

Le biomimétisme est une approche basée sur la science, qui pose comme postulat le vivant comme modèle. Plus les connaissances du vivant augmentent – et c’est le cas – plus le potentiel de « leçons » et d’applications se multipliera. Les publications scientifiques liées au biomimétisme connaissent une extraordinaire accélération depuis 15 ans, et depuis 5 ans ce sont les innovations appliquées qui surgissent chaque semaine. Au delà du volume en croissance, nous observons également l’émergence d’une autre clé de lecture du vivant, pour expliquer et décrire les bénéfices fonctionnels qui peuvent être tirés par la transposition aux activités humaines.

En se plaçant sur le terrain scientifique et rationnel, le biomimétisme a une autre vertu considérable, celle d’éviter l’approche dogmatique, et donc politique de l’écologie, et cela fait du bien après tant d’années de tentatives d’appropriation et de détournements politiques. 

Même si le biomimétisme connaît bien sûr ses subtilités, ses « familles » et ses courants de pensées, l’approche se veut apolitique, considérant sans doute cette vertu non partisane comme un gage de succès. Dès lors, mêlant respect de l’environnement, vision mutualisée des ressources, travail collaboratif, innovation technologique, compétitivité et développement, le biomimétisme réalise également sans doute un travail de synthèse politique sur les questions environnementales.

La tribune médiatique

Si le biomimétisme est abordé de longue date dans les supports scientifiques et spécialisés, il s’invite de plus en plus souvent depuis quelques mois dans les médias généralistes: Journaux télévisés, JDD, La Tribune, M6, ARTE, Paris Match, Le Parisien, France Inter, Europe 1, Stratégies, Les Echos, La Croix, pour n’en citer que quelques uns. C’est à la fois un signe de l’émergence de cette approche, et un élément accélérateur … « les médias en parlent ». 

Au delà de ces tribunes médiatiques, les conférences sur le sujet se multiplient, ls expositions aussi. Enfin, les représentants politiques et de la sphère publique commencent également à s’emparer du sujet, à en parler, pour demain le promouvoir de plus en plus compte-tenu des services que le biomimétisme peut apporter aux enjeux de transition énergétique, mais également de pollution et de santé publique.

Les histoires d’innovations bio-inspirées sont des histoires fantastiques, étonnantes, captivantes, qui s’adressent à tous les publics ; elles parlent à notre préconscient qui sait bien la force et le génie stupéfiant du vivant, donc réceptif ; elles sont illustrées par la sublime beauté de la nature ; elles racontent aussi souvent des parcours de recherche ou d’entrepreneuriat d’hommes et de femmes de talent, passionnés et charismatiques ; elles ouvrent des perspectives nouvelles. 

Les histoires de biomimétisme captent l’attention parce qu’elles nous rassurent aussi, elles font du bien. 

Le potentiel multisectoriel

Le biomimétisme prend de l’ampleur car il intéresse tous les secteurs d’activités. Tous sont concernés par les applications actuelles et potentielles. Depuis les applications « historiques » comme dans l’aéronautique avec les winglets inspirées des ailes des rapaces, les transports et l’aérodynamisme à l’exemple du nez du train Shinkansen optimisé grâce au bec du martin-pêcheur, les vitres et peintures autonettoyantes issues de l’étude des feuilles de lotus ou encore le fameux Velcro que nous devons à Georges de Mestral inspiré par les fleurs de bardane … jusqu’à la nouvelle génération d’innovations bio-inspirées comme ce capteur révolutionnaire Prophesee économe en data et en énergie inspiré de la rétine humaine; les colles chirurgicales Tissium issues d’un polymère inspiré par les modes de fixations des organismes marins; le textile adhérant Gecko Gripper par effet van der waals de la patte de gecko; l’agriculture via la permaculture, l’agroforesterie et l’agro-écologie ; la dépollution des sols par la mycoremédiation ou les plantes métallivores de Claude Grison; le traitement des eaux usées par la phyto-épuration; les matériaux plus résistants inspirés des nacres de coquillage; l’énergie via la photosynthèse artificielle; les éoliennes silencieuses aux formes inspirées des bords de fuite des ailes de chouettes; la force de l’ondulation marine qui inspire l’hydrolienne Eel Energy ou les pompes Wavera ou CorWave ou encore le moteur nautique FinX; les découvertes Hemarina qui permettent de mieux conserver les greffes d’organes grâce à des vers marins; la lutte contre l’atrophie musculaire issue de l’étude de l’hibernation des ours; l’auto-ventilation des bâtiments comme alternative à la climatisation énergivore inspirée des termitières; l’allégement des bâtiments issue des structures osseuses; les bio-ciments fixateurs de C02 inspirés du corail; les fibres textiles hyper résistantes par la synthèse de la soie d’araignée; les villes  éponges pour lutter contre les risques d’inondations; les substituts aux insecticides par confusion sexuelle inspirée des phéromones … le génie de la nature est omniprésent, ses applications aussi. 

La quête d’innovation et de valeur ajoutée

Le besoin d’innover sans cesse, de sortir des silos, des schémas de pensée préformatés, de trouver des ruptures scientifiques et technologiques est une autre explication de l’intérêt pour cette approche qui se veut davantage horizontale que verticale, et surtout pluridisciplinaire. Comme le dit l’adage populaire « l’électricité n’a pas été inventée en perfectionnant la bougie » … le monde de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui amélioré à la marge et la créativité viendra de la capacité à mêler les savoirs et les angles de vue. 

Le biomimétisme aide à chercher autrement pour trouver « d’autres idées », et participe ainsi à façonner le monde de demain, un autre monde inspiré par le monde.

Aujourd’hui les domaines réservés n’existent plus, l’innovation peut venir de partout et de nulle part, de domaines d’activités connexes, de regards croisés, d’émulations … et tout ceci de plus en plus vite. 

En proposant d’autres champs d’explorations, d’autres schémas de pensée et une approche méthodologique particulière, le biomimétisme se place au service de l’innovation.

La « Biomim Deeptech » qu’entend promouvoir et développer Biomim’Invest, c’est déjà 400 millions d’euros de levées de fonds pour les entrepreneurs des innovations bio-inspirées à impact, et une cinquantaine de partenaires financiers.

Le saut technologique 

Le biomimétisme accélère également en raison d’un saut technologique avec – notamment – les nanosciences qui permettent d’observer et de comprendre à un niveau encore jamais atteint; ou encore avec l’additive printing qui permet de reproduire des structure du vivant jusqu’alors inaccessibles. 

Réussir à manufacturer des structures se rapprochant de celles du vivant permet d’obtenir les mêmes bénéfices multi-fonctionnels. 

Le biomimétisme ne se résume pas à l’observation des structures (c’est aussi les formes et les écosystèmes), mais force est de reconnaître que cette nouvelle capacité à observer au plus fin est extraordinairement productive et disruptive.

Le « comment »

Après la pédagogie du « pourquoi » nous devons changer, le biomimétisme fait la pédagogie du « comment », et ça change tout. 

La prise de conscience des enjeux environnementaux ces dernières années a très souvent été anxiogène, parfois moralisatrice ou incantatoire, rarement démonstrative en solutions. Il en a résulté une forme de déni psychologique, et peut-être même un renforcement du climato-scepticisme, la nature humaine appréciant peu d’être confrontée à ses responsabilités et à des problèmes sans solutions. 

Le biomimétisme intéresse et réconforte car il montre un nouveau champ du possible davantage qu’un mur de défis. Le biomimétisme apporte des solutions pour résoudre nos problèmes et place la nature en alliée, en force puissante au service de l’avenir de l’humanité.

Valeurs et réenchantement

Le succès du biomimétisme tient aussi à des valeurs en résonance avec les attentes de notre époque. 

L’humilité, le respect, le partage, la modestie, la simplicité, la spiritualité, … le biomimétisme est peut-être même en réponse avec notre époque, en écho avec le retour du bon sens et l’arrivée d’une forme de maturité écologique. 

Le biomimétisme c’est aussi le réenchantement du regard sur notre environnement et sur la biodiversité qui nous entoure, un outil de redécouverte, et non plus une vision orgueilleuse d’une soi-disant suprématie de l’homme sur la nature.

Interdisciplinarité et Intelligence Collective

Le biomimétisme est une approche fondamentalement interdisciplinaire, transversale, multiculturelle, qui valorise les échanges, les télescopages, les réflexions partagées. Certains schémas de pensée (industriels, scientifiques, politiques) mènent aujourd’hui à des impasses. L’innovation sera chorale, elle passera par la confrontation des points de vue et des réflexes, par les enrichissements mutuels, par l’opportunisme et la curiosité, par l’intelligence de groupe. 

Si le biomimétisme propose de s’inspirer de la nature, il exige également de savoir s’inspirer de l’autre. Pour cela « la filière du biomimétisme » se structure, les acteurs se rencontrent, de grands groupes se révèlent, des startups émergent, le Ceebios se lance, Biomim’expo est créé …

Notre époque a besoin de reconnexions, entre l’Homme et la Nature certes, mais aussi entre nos propres sphères, entre la recherche et l’industrie, entre l’écologie et l’économie, entre les grands groupes et les startups, entre les biologistes et les ingénieurs … ces sphères doivent mieux se parler, s’écouter, échanger. Nos « langues » sectorielles, disciplinaires, communautaires sont nos nouvelles tours de Babel, elles nous isolent au moment où nous devons au contraire nous reconnecter y compris à nous-mêmes pour bâtir et inventer ensemble.

Le monde du vivant a une forme innée d’ « intelligence de la résilience » par sa capacité à créer des approches symbiotiques, aux interdépendances positives et bénéfiques.

Mobilisation, bottom up et fierté 

Le biomimétisme est souvent dans les organisations une approche « bottom up », qui démarre par des hommes et des femmes, des équipes, des travaux de recherche, des expérimentations, des convictions personnelles, pour ensuite remonter par capillarité dans les structures. 

Le biomimétisme n’est pas une posture de communication, au sens trop souvent négatif de cette allégation, c’est une approche humaine, personnelle, parfois intime et spirituelle, souvent passionnée, portée par la force des convictions.

Les retours d’expériences et les témoignages démontrent la fierté d’appartenance et la satisfaction des équipes qui travaillent sur des approches bio-inspirées. C’est en ce sens aussi un outil de management, de communication interne et de mobilisation.

Alain Renaudin, président-fondateur de NewCorp Conseil, fondateur de Biomim’expo.

Biomim Facteur 12