Discrédit politique, quête de nouveau paradigme, remise en cause des élites, érosion des images de marque, préoccupations sociales et environnementales, ralentissement de la croissance mondiale, communautarisme, défiance institutionnelle, crise morale, repli sur soi, frustrante recherche schizophrénique entre aspirations communautaires et accomplissements individuels, entre régulation et libre entreprise …
le monde change, la communication corporate doit changer elle aussi, elle doit faire sa révolution culturelle.
Les grands défis géopolitiques actuels, l’instantanéité de la vertigineuse corrélation entre crise financière, économique, sociale et politique, la disparition des frontières économiques et écologiques, ont fait prendre conscience à l’opinion publique et aux décideurs, de l’irrésistible interconnexion des phénomènes. Les enjeux contemporains, par leur complexité et interactions, sont désormais l’affaire de tous, et de chacun. C’est maintenant à l’ensemble des parties prenantes (organismes internationaux, Etats, gouvernements, collectivités, entreprises, syndicats, associations, médias, citoyens …) à travailler collectivement pour définir des solutions convergentes. La hiérarchie disparait au profit d’une approche collaborative, nous passons d’un monde vertical à un monde horizontal dans lequel la question n’est plus de choisir mais d’associer.
La disparition des frontières crée de la porosité entre nos vies
Regardons ce que nous vivons. Deux phénomènes sont à considérer comme absolument majeurs dans la mesure où ils incitent à définir un nouveau paradigme : crise écologique et crise financière. Ces phénomènes du début du XXIième siècle sont majeurs car ils nous révèlent notre « humanité », notre destin commun au sens de communauté d’hommes et de femmes, bien au delà des identités territoriales, nationales, religieuses ou communautaires. Il existe de la porosité entre nos nations, entre nos vies, entre nos identités, nos aspirations, nos décisions. La crise financière a traversé l’Atlantique en 2008 comme certains nuages ont traversé les Alpes en 86, et des hommes ont brisé des murs en 89. Autrement dit, les frontières, malgré les nouvelles aspirations protectionnistes ambiantes, sont une espèce malmenée. De ce point de vue, la globalisation est donc aussi une forme de ré-humanisation, dans le sens de la révélation de notre destin commun. Même les guerres, à l’instar du terrorisme, n’ont plus de frontières, ne se passent plus sur des lignes de front que nous pourrions tracer sur des cartes, tout est devenu simultanéité et ubiquité. En conséquence, et comme nous pouvons le voir régulièrement à travers des mouvements sociaux planétaires ou des actualités immédiatement globales, tout nous unifie et nous solidarise, et simultanément, en raison du caractère anxiogène des enjeux que nous affrontons, tout nous oppose et nous pousse à l’isolement. Si ce deuxième phénomène peut être considéré comme de l’ordre de la réaction – ou tentative de réaction – considérons que la tendance de fond, le vrai nouveau phénomène que nous vivons en conscient inconscient, est le premier: ce qui nous réunit l’emporte désormais sur ce qui nous oppose, et ceci malgré bien souvent des apparences trompeuses.
En corollaire dans les domaines du marketing et de la communication, disons de la vie des marques et des entreprises, le cloisonnement entre communication corporate et communication « commerciale », entre l’entreprise et la marque, entre le citoyen et le consommateur, se fissure également. Tout ceci “a vécu”. Ceci d’autant plus que les contraintes actuelles poussent à une prise de conscience rationnelle et pragmatique : la responsabilité corporate et son expression en terme de communication est résolument raisonnée et pragmatique. Le Corporate ne doit pas faire plaisir, il doit faire vendre … une idée, un produit, un service, un comportement, un programme, une réputation … La communication Corporate est une démarche de différenciation, d’attractivité. En ce sens, la penser comme déconnectée des autres stratégies de communication de l’annonceur est souvent la première erreur stratégique. Le Corporate est au service du produit, et inversement. Plus les marchés sont matures, plus il est difficile de créer de la différenciation et de l’attractivité sur les seuls attributs de l’offre. Dès lors, « les attributs corporate » (capital marque, force projective, exemplarité, loyauté, proximité, capital sympathie, …) doivent, et notamment en période difficile, être utilisés comme des « bonus institutionnels ». Ce sont ces « petites » choses qui rendront une posture crédible lorsqu’il est tellement facile de tout remettre en cause; qui encourageront la fidélité lorsque tant de nouvelles offres incitent au papillonnage; qui amortiront les mauvaises nouvelles lorsque les « affaires » appellent au boycott; qui feront des clients les premiers porte-drapeaux lorsqu’il est si coûteux d’en recruter de nouveaux; et de l’interne des salariés motivés lorsqu’il est vain de vouloir rendre créatives et innovantes des personnes désimpliquées. Les leaders de demain sont ceux qui auront su faire de leur réputation corporate un avantage concurrentiel.
De l’Etat providence aux Entreprises providence
Les parties prenantes, notamment entreprises privées et institutions publiques, ont de nouvelles responsabilités. Les marques s’adressent de plus en plus aux citoyens lorsque les acteurs politiques parlent de plus en plus aux consommateurs. Les publics potentiellement réceptifs changent, devenus aussi bien récepteurs qu’émetteurs ils sont surtout davantage informés et exigeants. Et si ce que « les gens » disent de la marque était devenu aujourd’hui plus important que ce que la marque dit d’elle-même ? La communication corporate change, le ton de la communication corporate aussi. Crise écologique et crise financière sont des crises de pertes de repères et de valeurs, ce sont aussi des crises issues de l’incapacité à détecter et à réagir aux signaux faibles, ce sont des crises issus de comportements irrespectueux et prétentieux. Aujourd’hui, communiquer sur un registre corporate, c’est adopter une posture de modestie, de sincérité, où les actes doivent précéder les engagements annoncés, où la capacité d’écoute est aussi importante que le message délivré, après le corporate « top down » unidirectionnel, devenu inaudible et surtout inefficace, l’heure est désormais au corporate intégral, c’est à dire permanent, multivectoriel et multiémetteur.
Mais attention, la fin du monopole corporate n’autorise pas le monopole anarchique. Au contraire, il suffit que les frontières se dissipent entre le citoyen et le consommateur, entre l’offre et la stratégie, pour que ce besoin de cohérence redevienne un impératif de communication, mais surtout une règle architecturale essentielle pour connecter les différentes prises de parole de la marque, pour finalement leur donner de la perspective, de l’échos, de la résonance.
C’est parce que la communication corporate ne doit pas être considérée de façon isolée et déconnectée qu’il est essentiel de diffuser l’esprit et l’expertise corporate à travers l’ensemble des expertises de communication au service de la marque, car si personne n’a le monopole du Corporate, alors le Corporate sera d’autant plus profitable à tous. En outre, à l’heure où plus que jamais il faut savoir s’enrichir de regards croisés, tirer des enseignements d’approches connexes, éviter les déperditions d’informations, le multi-culturalisme devient une source d’inspiration créative et un levier d’efficacité.
Il faut de la cohérence, de la « résonance positive », entre le produit et la marque, entre l’externe et l’interne, entre le commercial et le corporate. N’importe quelle offre véhicule intrinsèquement une dimension corporate, par son caractère plus ou moins innovant, pertinent, fiable, attractif. Une relation client/usager/administré porte évidemment une dimension corporate. Ces petites expériences clients du quotidien révèlent (souvent bien davantage que les grands discours des grandes campagnes) la façon dont la marque considère sa clientèle. C’est ce message indirect, souvent même non prononcé, non délibéré, qui constituera souvent la trace mémorielle, c’est une communication corporate indirecte, détournée, perçue sans être formulée.
Une communication corporate raisonnée et pragmatique
La communication corporate est au service de l’attractivité de l’offre, de la part de marché, de la capacité de séduction. Pourquoi, à performances égales, sommes-nous davantage convaincus par une marque que par une autre ? Pourquoi préférons-nous le générique d’un laboratoire que nous connaissons ? Pourquoi les consommateurs achètent-ils davantage de yaourts de marques distributeurs ? ils ne se forcent pas à acheter de mauvais produits (!), ils sont convaincus qu’ils sont aussi bons, voire meilleurs, ils font confiance à ces marques, et inversement « croient » moins au différentiel de qualité des autres offres. Tous les commentateurs et acteurs politiques ont largement commentés la crise financière comme une crise « de confiance ». La confiance est un attribut corporate, pas un attribut de l’offre. La crise actuelle est une crise corporate. La solution à la crise sera la revalorisation corporate de la relation aux institutions privées et publiques.
Le climat actuel de suspicion voire de défiance vis-à-vis des politiques, mais aussi des entreprises, dans un contexte marqué par une remise en cause du « modèle économique » et par la révélation de comportements irresponsables n’entame pas, paradoxalement, le niveau d’attente et d’exigence de l’opinion en matière de « corporate gouvernance », d’éthique, d’écocitoyenneté… Autrement dit, grand public et leaders d’opinion, souvent critiques et sceptiques à l’égard des entreprises, ne sont pourtant ni démissionnaires ni fatalistes quant au rôle sociétal que celles-ci peuvent et doivent jouer.
Cette attente est notamment fortement exprimée par l’interne qui souhaite « se retrouver » dans les valeurs et engagements de son employeur et du collectif qu’il représente. Mais là aussi, l’enjeu doit être posé de façon pragmatique et rationnelle : à l’heure où la compétition concurrentielle est rude, où la capacité d’innovation doit être stimulée, où des stratégies d’entreprises doivent rencontrer adhésion et enthousiasme, la communication corporate vis à vis de l’interne est un outil essentiel à la performance globale.
Résonance et dissonance
Il est difficile de mesurer l’impact de la perception corporate, mais il est évident qu’un vide corporate dans une relation à la marque ou à l’émetteur public est défavorable à la relation de proximité et à la capacité à adhérer au discours. Une relation corporate critique vis à vis d’un émetteur sera d’ailleurs suffisamment forte pour remettre en cause tout argument ou toute offre, quelle que soit sa qualité. La qualité de la relation corporate doit être considérée comme un actif amplificateur (ou inhibiteur) des autres éléments de discours et d’offre.
Nous sommes entrés dans une ère où le risque de dissonance est un risque de pérennité et d’efficacité. Ce risque doit être appréhendé avec vigilance dans la mesure où il peut se révéler à tout moment et de n’importe où. Il peut partir d’une stratégie de communication qui viendrait heurter une actualité politico-sociale, d’un attribut produit en incohérence avec une posture environnementale, d’un usager insatisfait faisant démarrer un buzz communautaire online dévastateur, etc.
Dans un tel contexte, la communication corporate, mais surtout le relation à l’émetteur qu’elle doit créer et entretenir, joue un rôle d’assurance vie, de caution, parfois d’amortisseur.
L’opinion publique a changé, et derrière elle toute la société, car contrairement aux idées reçues, l’opinion précède bien plus souvent qu’elle ne suit. D’ailleurs, raisonnablement, aucun « grand » stratège ne peut se prévaloir aujourd’hui d’avoir ces derniers temps eu un quelconque talent prédictif. Revenir aux valeurs signifie également revenir au bon sens d’une grande, très grande, capacité d’écoute. Au delà des mots, cela signifie qu’il faut considérer désormais chaque client, consommateur, usager, administré comme un partenaire et comme une vigie. De l’écoute de chacun d’entre eux peut venir la capacité à détecter les signaux faibles, qui feront, pour certains, les tendances de demain. Il n’est plus tenable d’imaginer une communication unidirectionnelle, mais attention, non pas pour des raisons technologiques, sous prétexte que d’autres vecteurs sont disponibles, mais pour des raisons d’efficacité : « les gens » n’y croient plus, ne sont pas dupes, développent leur propre expertise et avis.
Une communication corporate aspirationnelle, sincère et crédible
Le grand public, les parties prenantes de l’entreprise également bien sur, est conscient des contraintes imposées aux acteurs privés et publics. Mais ce n’est pas pour autant que le rêve a disparu, bien au contraire, jamais comme aujourd’hui la quête d’idéal, quasi révolutionnaire, n’a été aussi forte, mais c’est un appel au rêve rationnel, le rêve auquel on croit, un rêve aspirationnel, mais accessible, une sorte de rêve éveillé. C’est une approche révolutionnaire dans la mesure où la communication corporate, rationnelle, pragmatique, doit également être émotionnelle et savoir créer une forte capacité de projection et d’adhésion. Ceci en réinventant son mode d’expression, le prisme idéalisant et vantard a vécu. Aujourd’hui le « courage » de la nouvelle réflexion corporate consiste à considérer que les faiblesses assumées renforceront la puissance des atouts lorsque les faiblesses occultées – mais décodées par tous – réduisent les atouts à néant.
Le conseil en communication corporate doit avoir la force de crever la bulle, de placer l’émetteur à l’unisson de ses publics. La communication corporate est d’abord une posture avant d’être un message.
Institutions publiques et annonceurs privés ont aujourd’hui sur la dimension corporate un enjeu lié et convergeant, celui d’être les garants de leurs responsabilités publiques, sociales, économiques, sanitaires, et environnementales. Les missions de pédagogues, d’accompagnateurs du changement, de garants du résultat, ne sont plus l’apanage de l’un ou de l’autre. Tous doivent agir dans une logique d’efficacité et de mission de service public. Pour les institutions publiques comme pour les acteurs privés, la période actuelle est une période de mutation en terme de missions assignées, assumées et attendues, peut-être encore davantage pour les acteurs privés.
La dimension institutionnelle comme élément de différenciation pérenne.
Face à la nécessité de différenciation, il s’agit de redonner de la valeur aux marques via des éléments différenciant et exclusifs, tout en intégrant l’entrée dans le phénomène de la dissymétrie : si la mauvaise qualité est un handicap, la bonne qualité n’est plus un avantage quand elle est considérée (à tort ou à raison) comme acquise ou commune. De même, l’innovation reste impérative dans une logique de course en avant et de sur-enchère, mais chaque nouveauté a vocation à être temporaire en étant dépassée ou copiée. Une « réelle » innovation ne reste jamais très longtemps l’exclusivité d’une marque. La marque doit considérer son capital corporate comme un socle intangible, pérenne et exclusif, au delà des modes, et des lancements. Son rôle est d’apporter ce « plus », ce « bonus », qui fera la différence si le produit ou le service, seul, ne la fait plus. C’est pourquoi, la dimension corporate est aussi à considérer comme un attribut incontournable du marketing stratégique. De ce point de vue du long cours, la communication corporate est aussi une stratégie de communication « économique », un point de vue là aussi assez « révolutionnaire ». En effet, comme socle puissant et pérenne, les attributs corporate sont un appui pour chaque campagne de communication, chaque prise de parole. Un produit aura moins d’efforts à fournir pour revendiquer tel ou tel bénéfice ou attribut si ces dimensions sont portées toute l’année … un nouveau produit Apple est forcément innovant. Nous sommes bien dans l’articulation, dans le soutien mutuel, dans le décloisonnement. Mais si cet attribut corporate de la marque Appel a été construit pendant des années par les produits, c’est aussi un attribut qui s’érode en raison de produits jugés peut-être moins innovants aujourd’hui. Autrement dit, le héros sera toujours le produit, le corporate ne peut être une rente s’il n’est pas régulièrement réalimenté par la réalité, par les faits, par les actes. L’idéal étant bien sur que le corporate et le produit “travaillent” ensemble et combinent leurs atouts. C’était le cas avec Steve Jobs – Appel – iPhone, ça l’est encore davantage aujourd’hui avec l’exemple Elon Musk – Tesla – Modèle S. Un triptyque Homme-Marque-Produit où les apports de chaque entité rentrent en résonance pour construire une dimension globale unique. Elon Musk a une mission … qui n’est pas de vendre des voitures, mais de lutter contre le réchauffement climatique ; Tesla est l’outil qui doit accomplir cette mission en révolutionnant le marché automobile ; la modèle S (en avant-garde suivie par les autres modèles) est le produit qui rend cette mission possible, attractive et partagée.
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Fuyant les risques de dissonance, la communication corporate doit aujourd’hui rentrer en résonance positive à travers ses différents modes d’expression, en dialogue avec les différentes parties prenantes, pour réussir à faire d’une « préférence institutionnelle » un avantage concurrentiel.