Pour un Made « by » France plus grand que le Made « in » France

MADEBYFRANCE

Nous sommes fiers, mais manquons de fierté d’appartenance, pour porter haut et fort une bannière tricolore comme d’autres portent une bannière étoilée. Nous revendiquons souvent avec orgueil la supériorité de la France dans bien des domaines, au point de passer parfois pour des donneurs de leçons, et simultanément sombrons régulièrement dans l’autocritique et l’auto-flagellation, qui parfois alimentent l’auto-récession.

Nous en appelons à la solidarité nationale, mais rêvons de découplage entre chacun d’entre nous et la nation : régulièrement interrogés sur la conjoncture nationale et leur situation personnelle, les Français sont convaincus d’aller mieux que le pays. En étude d’opinion en effet, comme je l’ai souvent observé, la perception de la moyenne n’est pas toujours la moyenne des perceptions. Persuadé des difficultés du pays, chacun veut vivre sa vie, s’en détacher, se découpler, comme on parle de découplage géostratégique. Seulement voilà, c’est un leurre, car tout est lié, nous sommes tous solidaires et interdépendants. A l’heure de la grande angoisse économique, la tentation du repli protectionniste est grande, économiquement et politiquement. Alors, la mondialisation ou l’Europe, responsables de toutes nos souffrances, trouveraient leur antidote dans le récurrent « made in France ».

Revendiquer une adresse plutôt qu’une identité de marque traduit notre difficulté à assumer notre nationalisme quand ce terme provoque malaise et renvoie inévitablement à certaines idées extrémistes, ou notre patriotisme dont l’idée de patrie évoque elle d’autres périodes de notre histoire. Nous avons du mal à assumer notre identité nationale. Notre attachement territorial est d’ailleurs souvent plus fort au niveau régional que national, ce qui explique les fortes identités régionales à travers notre pays. Des identités régionales souvent plus fortes à la périphérie de l’hexagone, comme si une force centrifuge venait intensifier le sentiment identitaire régional en compensation de la pression exercée en son centre par l’État jacobin.

Cet argument du made in France, s’il est intéressant, est aussi une occasion ratée, à deux lettres près qui changent tout: in et by.

La France est davantage qu’une adresse.

Bien sur, nous sommes tous désireux d’acheter des produits et des services de proximité, fabriqués en France, et ceci pour des raisons tant sociales, liées à la préservation de l’emploi, qu’environnementales liées à la réduction de l’empreinte carbone du transport par exemple. Mais ce seul critère ne suffit pas, et c’est une stratégie peu pérenne lorsque votre marché intérieur pèse 1% de la démographie mondiale, et lorsque tout le monde sait que la vitalité économique, notamment de « nos » grands groupes se fait grâce aux marchés mondiaux. « Nos » grands groupes lorsqu’ils innovent ou conquièrent des marchés, « le grand capitalisme » lorsqu’ils suppriment des emplois. Il en est en économie comme on sport: « on » a gagné, « ils » ont perdu. Pourtant, c’est bien cet esprit d’équipe qu’il faut (re)créer, l’équipe France ne se limite pas au seul hexagone.

Facebook ne serait pas Facebook s’il s’était limité au marché US, même le marché US !

En outre, ce critère territorial est important et intéressant mais non suffisant. Dans les arbitrages que nous réalisons tous, dans nos compromis ou nos « trade off », tous les attributs de l’offre rentrent en ligne de compte. Et ces arbitrages s’exercent de façon différenciée selon la catégorie de produits, selon l’importance que nous accordons à l’achat en question, selon nos habitudes, selon notre pouvoir d’achat bien sur, et selon l’étendue de l’offre disponible, c’est-à-dire les alternatives possibles (essayez d’acheter un smartphone made in France).

C’est cette contrainte qui explique la difficulté que nous avons à résoudre notre syndrome du sapin de Noël qui le 25 décembre accueille à ses pieds des jouets made in China lorsque nous passons toute l’année à condamner les délocalisations.

Tout ceci pour dire que le made in France est bien sur souhaitable, mais il ne peut s’imposer ou se décréter, il doit se mériter. La marque France ne peut être obligatoire, elle doit tout simplement être la meilleure, la plus désirable. Ce critère apportera alors un élément de différenciation positive, mais il ne se substituera pas à la qualité, au positionnement prix ou à l’attractivité de la marque. Il y a déjà plusieurs années on critiquait le consommateur qui déclarait dans les enquêtes d’opinion être prêt à payer plus cher des produits respectueux de l’environnement, sans le traduire dans ses actes d’achat face aux linéaires. Jusqu’au jour ou des offres compétitives et comparables en matières de services sont arrivées.

Dans ce marketing géologique, le bénéfice environnemental ou le made in France sont des strates supplémentaires qui peuvent/doivent apporter un plus.

Les produits français doivent d’abord et avant tout être les meilleurs, et du meilleur rapport qualité/prix possible. Cette exigence est le meilleur service à leur rendre plutôt que d’imaginer créer un marché intérieur captif, « protégé ».

Au delà de ces éléments d’arbitrages, d’autres dilemmes se poseront. Nous devrons pas exemple préférer une Toyota fabriquée à Valenciennes à une Renault fabriquée en Europe de l’Est ? Mais comment quantifier le made in France sur des produits à multiples composants ? S’il est en effet à peu près facile d’identifier des fruits et légumes français, c’est une toute autre affaire sur des produits high tech. Comment arbitrer lorsque seul l’assemblage est rapatrié ? ou inversement lorsque la conception est réalisée dans un bureau d’étude sur le territoire national et la fabrication ailleurs ? Et comment encourager les PME innovantes à exporter et à se développer à l’étranger si elles s’éloignent de leur port d’attache ? Comment favoriser les produits made in France dans les arguments commerciaux et politiques lorsque parallèlement nous revendiquons la réciprocité et, mieux encore, lorsque nous souhaitons pousser nos exportations pour combler un très problématique déficit du commerce extérieur ? Nous voudrions alors revendiquer le made in France, et simultanément vendre nos Airbus (made in Europe) aux Américains en leur expliquant que c’est mieux que du made in US ? Et que penser des plus de 2 millions de salariés français qui travaillent dans des entreprises « étrangères » ? sont-ils pour autant de mauvais Français ? Il y aurait alors les travailleurs « nationaux » et les employés qui travailleraient pour l’« étranger » ?

Il ne faut pas oublier non plus que les produits « made in France » ne sont pas nécessairement des produits plus respectueux de l’environnement ou fabriqués par des entreprises nécessairement plus sociales ou éthiques. Ce n’est ni le lieu de fabrication ni la nationalité qui prédéterminent automatiquement des comportements plus vertueux, mais les valeurs de l’entreprise et de tous ses employés (pas uniquement les dirigeants).

Là encore, cet argument du made in France est séduisant, il est politically correct, mais ceci est une affaire privée, une affaire d’offre et de demande. Il n’y a aucun doute pour qu’une entreprise en fasse usage et donc l’encourage s’il représente un critère d’achat significatif pour ses clients et s’il permet une meilleure performance économique. Le made in France doit aussi être préféré par les entreprises, qui ne doivent pas y voir le seul argument marketing, mais aussi une source de fierté .

D’ailleurs, l’étude des cas de relocalisations (Rossignol, Majencia, Le Coq Sportif, Smoby, Atol, Kindy …) démontrent que c’est d’abord l’intérêt de l’entreprise (meilleure maîtrise, plus grande souplesse, avantage prix global finalement moins important que prévu …) qui a engendré ces mouvements, pour ensuite en faire un argument, absolument légitime, face aux critères de choix du consommateur. C’est avant tout la compétitivité et l’attractivité des entreprises et des produits français qu’il faut restaurer.

Quant aux décideurs politiques qui l’argumentent aujourd’hui, s’ils imaginent influencer le marché, qu’ils commencent à l’appliquer à eux-mêmes en évitant un nouveau phénomène 35h où tout le monde devait l’appliquer sauf l’hôpital public par exemple. Le législateur peut influencer le marché par ses décrets, mais aussi par son pouvoir de donneur d’ordre. S’il est demandé aux consommateurs de le faire, alors la logique voudrait que la préférence nationale soit appliquée en premier lieu dans les marchés publics, plutôt que de mettre systématiquement en premier critère de pondération (très loin devant les autres) celui du moins-disant budgétaire ! Messieurs les décideurs publics, achetez les premiers ! S’il y a bien un client qui doit avoir un raisonnement macro et long terme dans son comportement d’achat, c’est bien l’acheteur public.

Pour promouvoir nos emplois et notre savoir-faire, plutôt que le « Made in France », je préfère l’idée plus globale du « Made BY France » ou si vous voulez du « France made », c’est-à-dire par l’entreprise France.

Il pourrait s’agir d’une fabrication sur le territoire national, ou d’une production issue d’une société juridiquement française, sous « pavillon France », ou encore de productions « nationales » réalisées à l’étranger. Ceci pour évoquer des valeurs, de l’excellence, du savoir-faire, de l’innovation, plutôt qu’uniquement un critère géographique. Mais aussi surtout pour être orienté dans une logique de conquête, offensive plutôt que défensive. « France made », conçu et fabriqué par « la marque France », une marque dont on peut être fan, et une « entreprise France » à laquelle on peut être fier d’appartenir, ici et ailleurs.

Si le made in France renvoie à un critère géographique, le made BY France l’intègre et l’élargit, pour évoquer également l’excellence, le savoir-faire, l’esprit, la French Touch, Tech, Fab, tout ce que vous voulez … bref ces valeurs d’âme, ces valeurs immatérielles, qui bonifient les marques et les comptes de résultats.

Le « MIF Expo » (en novembre 2013) voulait vanter l’innovation, l’attractivité de la marque France à l’export, et la « nouvelle » France industrielle présentée le 12 septembre 2013 à l’Élysée à travers 34 plans de reconquête (d’ailleurs, où en sont-ils ? pourquoi n’évalue-t-on jamais les annonces ? sic). 34 plans certes intéressants, mais 34 plans n’en font pas un. Un showroom n’est pas un projet stratégique. Ce qui rassemble ces projets, ces envies, c’est bien la revendication d’un savoir-faire, c’est un esprit de conquête, de reconquête. Made BY France, c’est aussi dire « France is back », ce n’est pas replier la France sur son territoire comme pour la protéger naïvement, mais bien l’ouvrir au monde, la rendre présente et désirable. Les 5 millions de salariés de groupes français à travers le monde ou les expatriés français recrutés aux quatre coins du globe pour leurs talents, leur créativité ou la qualité de leur formation sont autant de portes-drapeaux de l’esprit français, de ce made BY France au delà de nos frontières, comme des postes avancés de cette marque France à travers le monde.

Made BY France, c’est ici sur le territoire et sur l’ensemble du globe, par les représentations de la France dans le monde. Au delà de la seule adresse hexagonale, partout où s’exprime le made BY France c’est un bout de terre tricolore supplémentaire, comme autant d’ambassades économiques. Un made BY France comme une bannière, comme un drapeau américain sur le sol lunaire, un made BY France d’affirmation, de conquête, de présence, de rayonnement. Lancer un Made BY France de conquête et d’affirmation comme Kennedy lançait le programme Apollo en 1961.

Un made BY France pour voir le monde comme un espace et non comme une menace.

Un made BY France de conquête et non de repli, d’enthousiasme et non d’inquiétude.

Pour une France en étendard et non en barricade.

Un made BY France orgueilleux, prétentieux, ambitieux, entreprenant, enthousiasmant, révolté.

Made BY France, pour une France ici et ailleurs, hier et toujours.

 

 

 

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Première édition: décembre 2011 / edito #41 sur atlantico

Et ma publication par l’Université de Yale dans le cadre de son centre de recherche « Yale Center for the Study of Globalization »: http://yaleglobal.yale.edu/content/france-deals-globalization-crisis-part-ii

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2 réflexions sur "Pour un Made « by » France plus grand que le Made « in » France

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