De la personnalité de son créateur au design de ses produits en passant par un excellent bouche à oreille, la marque Apple a compris les règles fondamentales du marketing. Comment, au delà de l’addiction, Apple nous rappelle quelques règles fondamentales de marketing.
D’abord, sans doute faut-il rappeler qu’en termes de marketing comme en communication, s’il peut exister de bonnes pratiques, il n’existe pas, contrairement peut-être aux idées reçues, de « recettes », de mode d’emploi, de garanties de résultats. Il s’agit le plus souvent d’une conjonction de phénomènes, et d’une certaine discipline qui s’en réfère finalement beaucoup au bon sens et à la sincérité. Nous avons vis-à-vis des marques des relations chimiques pour partie inconscientes, comme celles que nous pouvons avoir les uns envers les autres, qui nous poussent à apprécier certains ou à en trouver d’autres antipathiques, sans être nécessairement capables de l’expliquer.
Le modèle de la relation à la marque est également unique pour une autre raison, issue d’un raisonnement par l’absurde : il est unique car s’il ne l’était pas, il serait reproduit par d’autres ! Alors, à défaut de tenter de le reproduire ou de le copier, il est utile de s’inspirer de quelques grandes règles de bon sens qu’Apple nous rappelle. Des règles bien souvent oubliées, tellement inconsciemment évidentes qu’on en oublie de les appliquer, consciencieusement, rigoureusement.
1/ La star c’est le produit. De toujours, Apple a développé une passion absolue pour le produit. Un produit sublimé, iconisé, et d’abord en interne avant qu’il ne le soit par le public. C’est cette culture obsessionnelle pour le produit qui a rendu la marque si forte, et l’attachement du public si exclusif, voire excessif. Si on ne vend pas un produit auquel on ne croit pas, on ne le recommande pas non plus, pas davantage qu’on ne pourrait revendiquer son statut de fashion victim si ce n’était un élément de fierté. Cette culture du produit est essentielle, même si elle est évidente. D’ailleurs Bill Bernbach en avait fait un de ses grands principes pour expliquer que la publicité seule ne pouvait rien sans le produit : « The magic is in the product ».
2/ La marque incarnée. Apple, c’est aussi bien sur une autre star, elle aussi élevée au rang d’icône, son fondateur, Steve Jobs. La marque est dès lors incarnée, beaucoup ne le sont pas, et donc n’apportent pas cette aspérité humaine, qui peut laisser indifférent, qui peut agacer, mais qui peut aussi créer cette relation particulière à la marque, à travers l’histoire et le charisme du dirigeant qui l’incarne. La marque acquiert alors une personnalité supplémentaire. Faite de chaire et d’os, la marque dispose alors de ce petit supplément d’âme que peuvent avoir les objets inanimés comme s’en doutait déjà Lamartine. Une personnalité, une aura, un mythe, qui, faut-il le rappeler, existait bien avant le destin tragique qu’a connu Steve Jobs. Ce n’est pas le drame qui a créé le mythe. Beaucoup de marques, de groupes, d’entreprises aujourd’hui manquent de visages, de sang, d’histoires susceptibles de créer ce lien affectif, cette touche supplémentaire.
3/ L’innovation, toujours. Lorsqu’Apple innove sur des marchés comme la musique avec l’iPod et iTunes, ou de la téléphonie avec l’iPhone, la marque n’apporte pas un nouveau produit, mais modifie le marché tout entier. Ses innovations sont tellement rupturistes, et pertinentes, qu’elles en deviennent systémiques. Et parce que l’innovation est majeure, parce qu’elle change l’offre en révélant de nouveaux usages, elle est nécessairement suivie et copiée, mais le pionnier garde toujours l’avantage. Il peut parfois perdre cet avantage en terme commercial, mais la marque à l’initiative garde cette prime au leader, à l’avant-gardiste. Les icônes des applications ont envahi tous les mobiles aujourd’hui, sur tous les écrans les doigts tapotent et élargissent des images, mais une seule marque dispose du crédit de ces innovations. Copier, par soucis de réduire les risques ou les investissements, est en réalité le moyen de les augmenter. L’investissement en recherche et innovation est un enjeu crucial, c’est aussi une culture et un état d’esprit, sans doute l’essence même de l’entrepreneuriat.
4/ Le client est le maitre. Par l’innovation dans des domaines technologiques, Apple a délibérément décidé de mettre la technique au service du client, et non l’inverse. Dès lors, c’est tout qui bascule, qui devient facile, différent, et par la même occasion, le client est sublimé, valorisé, devenant lui-même, en tous cas il s’en persuade, doué, voire artiste ! Le suggérer n’est pas le formuler. Aujourd’hui Samsung, qui détient d’excellents produits avec sa gamme Galaxy, appelle le consommateur à devenir « creative ». Apple leur a donné l’impression qu’il le devenait, sans la nécessité de lui dire.
5/ la démocratisation, pour aller du cercle d’initiés au grand public. Au moment où le numérique et les nouvelles technologies commençaient à émerger, Apple les a rendu accessibles, appropriables, les a démocratisé, en les rendant même ludiques. Mais le risque de la démocratisation, du mass market, est bien sûr celui de la banalisation. Apple a longtemps été une marque d’initiés, travaillant sur des « Mac », ces ordinateurs étranges, de « créa », d’artistes, d’avant-gardistes, qui ne communiquaient qu’entre eux, faute de compatibilité. L’enjeu des nouveaux modèles, des innovations régulières, est d’entretenir ce cercle d’avant-gardistes d’une marque qui s’est largement répandue. Tout le monde peut avoir un iPhone, mais pas encore l’iPhone 5.
6/ La recommandation et le bouche à oreille. Le meilleur ambassadeur de la marque n’est pas la marque elle-même, mais ses clients. Apple est sans doute la marque qui réussit le plus à faire parler d’elle davantage qu’elle ne parle d’elle-même. Les exemples les plus flagrants sont ceux des lancements, des « révélations » de produits, qui bénéficient avant même leur sortie de couvertures presse qu’aucune publicité ne serait capable de générer, rendant dès lors le produit nécessairement exceptionnel et désirable. Mais le deuxième niveau de lecture consiste à bien comprendre que cette communication est une communication de « pairs », et le crédit que j’accorde aux autres est bien supérieur à celui que j’accorde au discours commercial descendant de la marque. Le plus souvent lorsque la campagne de publicité apparaît, elle ne fait alors que montrer le – fameux – produit dont tout le monde m’a déjà parlé, que tout le monde m’a déjà vendu. Ce qui est dit sur la marque est plus puissant, plus crédible que ce que la marque dit d’elle même.
7/ Le beau et le design, bien sur. Non seulement les produits Apple sont innovants, performants et ludiques, mais ils sont beaux, ils sont design, dans des lignes épurées et simples. Et chez Apple, tout est beau. Le produit bien sûr, mais aussi son emballage et ses accessoires. Ces produits sont aussi des faire-valoir, des miroirs narcissiques. Dans nos sociétés du culte du beau, de l’esthétisme, certains diront de l’apparence, la marque devient elle-même objet et école de design. Il faut reconnaître qu’elle n’invente pas cette tendance, mais elle se l’approprie et l’applique à son domaine d’activité pour se rendre encore plus désirable.
Sans doute d’autres caractéristiques pourraient être associées à la marque, mais ce qui est intéressant, peut-être même rassurant, c’est que ceci ne tient ni de la formule magique ni du hasard. C’est un assemblage subtil, un équilibre, une conjonction de phénomènes, qui se complètent et interagissent, sans notion de hiérarchie, tant certains peuvent être plus ou moins importants selon nos propres degrés de sensibilité. Apple nous rappelle finalement un certain nombre de règles fondamentales. L’erreur serait de croire que le succès d’Apple viendrait de mises en scènes, ou du talent de showman de Steve Jobs.Bien sur, ce fut, et c’est encore important, mais l’essentiel n’est pas dans l’écume.L’essentiel est bien dans les fondamentaux de la marque. Le principal facteur de risque serait d’imaginer une seule seconde que ceci soit acquis et que la marque n’a pas constamment besoin de se réinventer et de reconquérir, comme le challenger que tout leader doit rester. Ce que la pomme à de mieux à faire, c’est de ne pas prendre la grosse tête !